Les décisions thérapeutiques ou les prescriptions restent critiques pendant la grossesse : prescrire un médicament à la mère reste un exercice d’équilibre. C’est pourquoi ces experts pharmacologues entre autres spécialités, du Radboud University Medical Center, de l’Imperial College London et de l’université de Liverpool proposent, dans le Lancet, un protocole de prise de décision partagée fondée à la fois sur l’éthique et sur les preuves.
La plupart des femmes sont amenées à prendre des médicaments pendant leur grossesse. Pourtant, il est toujours difficile pour le médecin de sélectionner les médicaments et les doses appropriés. Ces médecins ont effectué un examen de la littérature sur le sujet et proposent cette approche de prise de décision partagée combinant les principes éthiques, les données de la littérature et les valeurs de la patiente.
Les chercheurs prennent l’exemple de la sertraline, un antidépresseur couramment prescrit pendant la grossesse, pour illustrer ce processus de prise de décision partagée. En effet la question de la prescription d’antidépresseurs durant la grossesse fait toujours débat, même si la majorité des études concluent qu’il faut traiter.
Si les femmes enceintes ont souvent besoin de médicaments, comme tous les patients, les données sur la sécurité et l’efficacité des médicaments pendant la grossesse restent limitées. La grossesse est considérée comme une étape critique pour la santé de la mère et de son bébé, les femmes enceintes et leur fœtus in utero plus vulnérables à toute exposition et les femmes enceintes ont été largement exclues des tests de médicaments.
Le thalidomide, utilisé comme anti-nauséeux dans les années 1950-60 et qui a causé de graves malformations congénitales chez des milliers d’enfants, a révélé les risques possibles de l’administration de médicaments aux femmes enceintes sans données de sécurité suffisantes, l’heure est donc légitimement à la prudence en matière de prescription de médicaments pendant la grossesse.
Cependant, refuser un médicament à une femme enceinte peut aussi nuire à sa santé et à celle de son enfant.
Enfin, il reste trop rare que les femmes enceintes reçoivent les informations sur le traitement avant sa prescription. Aujourd’hui, la plupart de ces patientes ne participent donc pas à la décision thérapeutique.
Un modèle à la fois éthique et pratique de prescription durant la grossesse
L’auteur principal, Charlotte Koldeweij, pharmacologue au Radboud University Medical Center, note que « la communauté médicale a besoin de toute urgence d’un protocole permettant d’équilibrer le rapport bénéfice-risque des médicaments pour les femmes enceintes et leurs bébés ».
Des principes éthiques clés et des étapes pratiques sont donc développés et présentés, qui visent à aider les cliniciens mais aussi leurs patientes
à prendre des décisions thérapeutiques éclairées et partagées.
Les données de la littérature doivent guider le dosage approprié des médicaments et la durée du traitement, mais combinées à une prise en compte ses valeurs personnelles.
- Ainsi, pour revenir à l’exemple de la sertraline, la participation active des femmes enceintes aux décisions concernant le traitement pourrait permettre de modifier progressivement les perceptions sociétales de leur vulnérabilité et favoriser leur inclusion dans la recherche médicale, ce qui permettrait à terme de combler le manque de données.
De ces travaux est issu le projet MADAM (Model Adjusted Doses for All Mothers) basé sur l’analyse des données disponibles sur la sécurité des médicaments pendant la grossesse et l’allaitement mais aussi sur les connaissances d’un consortium d’experts multidisciplinaire et de patients et avec l’objectif d’élaborer des recommandations de prescription et de dosage personnalisées pour les femmes enceintes et les fœtus, au moins pour les médicaments les plus largement utilisés.
Source: The Lancet 31 Oct, 2024 DOI: 10.1016/S0140-6736(24)02069-5 Striving for balance in decisions on antenatal pharmacotherapy